4924 km nous ont séparées pendant 4 mois. J'étais à Dakar au Sénégal et Lætitia était à Brouville en France.
Là-bas, je dessinais, je photographiais, j'écrivais, j'enregistrais, puis j'envoyais mes télégrammes.
Lætitia m'a répondu en poèmes, sur cette ville qu'elle découvrait au fil de ces notes.
La collaboration continue, toujours à distance. Le retour fait autant parti du voyage que le voyage lui-même.
"Soudoul gnibi touki dou nekh."

lundi 28 avril 2014

Au bout de l'ombre

Le dégradé de l'ombre
se mesure-t-il
au nombre décroissant
de photons?
Si oui, au bout,
existe-t-il un sanctuaire,
un cimetière pour
ces longueurs d'onde
ayant perdu
souffle et trajectoire?

L'horizon

Tu demandes plénitude à cet océan.
Or l'horizon retentit  à l’unisson du coeur de Dakar.
Mêlé et assourdissant.
Ligne ou point,
il singe celui qui s'accapare toutes forces.
Le chaos fond en ligne de fuite.
La mer et la terre ont échangé leurs rôles.
La terre saoule
sans passe ou once de preuve d’échappée.

Stephen Hawking et les trous noirs

" Stephen Hawking propose aujourd'hui que l'horizon serait
une structure chaotique où l'information ne serait pas perdue,
mais si mélangée qu'il serait impossible de la retrouver."
La Recherche avril 2014

L'ombre



 

L’ombre
Aplatit puis creuse
Aère l’espace
D’une pelleté piquée
Aux rayons.
Le noir, de croyance peu nuancé,
Pousse, avance,
Chausse souliers d’aventuriers.
Il habille les Danaïdes
Dont Stephen Hawking
Commente et mesure
Les puits sans fond.
A ce trépas,
Une silhouette d’animal cisèle
Le pan sombre
Qui me fait face.
Cela me rassure
Et je souris.
Cet être au regard serein,
Passé au cœur d’un trou noir,
Sera mon témoin.

samedi 26 avril 2014

un léger passage à vide pleins de questionnements

Je sens comme le lien qui me lie à ce que je dessine est fragile.
Je sens que la moindre perturbation dans ma tête, le moindre trouble,
le fragilise encore et je perds le contact et je perds l'envie et je perds
la concentration. Mon trait s'affaiblit, ne parle plus. Je ne parle plus.
Je sens un systématisme qui m'ennuie. Je voudrais changer d'outil, de format,
grandir sur la feuille, trouver un geste, un pas de danse, un mouvement.

Il y a des journées comme celle-ci où on ne trouve pas sa place.
J'arrive chez Vieux pour travailler, tranquille, seule. Il n'est pas la,
mais a laissé la porte simplement bloquée par une pierre pour que je puisse rentrer.

1 min et Pa modou arrive, puis Zo, puis encore un autre. On se retrouve à 4
dans la toute petite pièce, ouf... c'est trop, pas de concentration possible...
Je quitte les lieux et pars essayer de trouver une place dehors, sur un bout de trottoir
pour lire peut-être. Je m'assoie, au soleil, tranquille, sur une marche.

1 min et la meuleuse se met à hurler dans mon oreille gauche. Bon, apparemment,
ce n'est pas encore là ma place pour aujourd'hui. J'avance dans la rue, plus loin,
il y a un banc en bois à l'ombre, il a l'air bien. Je m'assoie.

1 min et une énorme bourrasque de vent s'engouffre dans la rue, j'ai froid.
Ce n'est pas encore là ma place. Je pars et trouve sur l'avenue une pierre qui me fait
signe. Je m'assoie encore une fois et voudrais écrire sur cette recherche de place.
Je n'ai pas pris mon carnet, ni mon stylo. Je pense alors à un endroit, pas loin,
que je voulais dessiner. Aller, motive toi, tu y vas et tu dessines. Ok? Je trouve le lieu,
tourne autour de mon sujet, trouve une place sur le trottoir en face, c'est bien,
je commence.

1 min et une voiture recule sur moi, son pot d'échappement dans mes narines,
elle m'intoxique et me bouche la vue.

D'accord, je crois que j'ai compris, je vais rentrer.

25.04.14 Rue 37 angle 18, Medina, Dakar.




 24.04.14 Vue d'une cour depuis le lieu d'exposition de l'espace Medina, Dakar.






21.04.14 Encore une vue depuis la terrasse de Yoff, immeubles en parpaing en construction, Yoff Layène, Dakar.

Henri Michaux

Obscurité, antre d'où tout peut surgir,
où il faut tout chercher.
Sous des peaux, des cuticules, sous une graine,
sous des tôles, des capots, des bordés, des murs,
sous des façades, sous une coque,
sous un blindage, tout ce qui compte,
ce qui est organes, fonction, ou machine,
et ce qui est secret, est à l'abri de la lumière

Henri Michaux 
Emergences - Résurgences

lundi 21 avril 2014

La forêt de baobabs



14.04.14 Kër Lai, Région du Saloum.

J'ai eu encore besoin d'une escapade, une pause de ville, une pause de polution, une pause d'anarchie.
Pouvoir respirer, écouter le silence. Voyage de 4 jours dans la région du Saloum, au sud de Dakar, à la frontière avec la Gambie.

dimanche 20 avril 2014





 19.04.14 Dans la cour de Fatou Peulh, Medina, Dakar.


jeudi 17 avril 2014


Elle s'allonge ornée de
cubes grouillants.
Ses carreaux
chipent l'horizon.
Elle est nuance,
elle est immense.
Elle tourmente
mon lien au soleil,
dézingue
l'arrêt habituel
de mon regard.

Je suis en ville
comme en maladie.
J'ai le tournis de ville,
un mal terrien présurisé
sans plus d'échelle ni même racine.

mardi 15 avril 2014

Pour les tisserands


Le monde est fait
de canevas
célibataires
et stratifiés.
La terre, les arbres,
et le bleu
portent
une trame chacun
qui se distingue
en signature.

vendredi 11 avril 2014


 
 08.04.14 La mosquée Massalikoul Jinan de Colobane en construction, Colobane, Dakar.

La première fois que j'ai vu ce chantier, c'était la nuit... j'ai été attirée par l'immense dôme en béton, 
on aurait dit une demi-lune à terre. De plus près, les minarets m'ont fait penser à un aéroport en
construction avec ses tours de contrôle. Le minaret central mesure 75m de haut. Ce chantier est impressionnant...
J'ai fait ce dessin avec une encre utilisée par les écoles coraniques. Cette encre s'appelle Da, elle est 
faite à partir de suie récupérée sous les marmites, de gomme arabique et d'eau. Les élèves l'utilisent 
pour écrire les versets du coran qu'ils doivent apprendre sur leur tablette en bois. Il effacent ensuite 
avec du sable.
Beaucoup de gens étaient fiers que je dessine la mosquée, on m'a même offert du parfum... mais 
l'un deux m'a tout de même indiqué qu'il manquait un minaret. Il est caché derrière celui de droite.




08.04.14 Les tisserands de Yaxal, Yaxal, Dakar.

Coincés derrière une autoroute, au milieu d'un terrain vague, sous des poteaux électriques, 
sous un baobab, des dizaines d'hommes, seulement des hommes, travaillent. Ils tissent des pagnes.
Aujourd'hui, la plupart utilisaient du fil noir, noir comme les fils électriques. 
Je voudrais y retourner un jour de couleur.


Fatou Peulh presque de face...


10.04.14 Fatou Peulh sur son lit au téléphone, Médina, Dakar.


10.04.14 Fatou peulh sur son lit écoutant la radio, Médina, Dakar.

Elle a toujours froid, dès qu'Amdy se lève, elle récupère sa couverture, dès que je me lève, 
elle récupère la mienne. La nuit, elle se recouvre entièrement, elle disparaît.

où se trouve l'espace pour le silence?

A la Médina, il y a toujours un bruit, une télé, une radio, un chant religieux,
un frottement de chaussures, un mouton, une porte qui grince, Fatou Peulh
qui crie d'une voix stridente à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit,
Amdy! AMDY! et Amdy qui, lassivement, répond: Wouah... Oui...
Kaay! Viens! apporte moi ci, apporte moi ça! Et Amdy qui vient, ses écouteurs
sur les oreilles, elle éteint la radio quand je me couche, l'allume quand je me lève,
récupère ma couverture, celle d'Amdy, se couvre le corps en entier, disparait.

lundi 7 avril 2014


05.04.14 La pièce au plafond ouvert sur le cocotier des voisins, Médina, Dakar.

Le tableau vert est un tableau indiquant les heures des 5 prières. Il n'est plus utilisé dans la mosquée
car il n'est pas très pratique. Il sert maintenant à empêcher les enfants qui arrachent les lamelles 
du volet de voir à l'intérieur de la maison. J'aime beaucoup cette pièce, le balancement des palmes,
les aiguilles immobiles, les animaux qui y vivent, les tas de gravas des restes du plafond.




25.03.14 Les vendeurs-dormeurs de bissap à côté d'Ibrahim le cordonnier, Médina, Dakar.


 
04.04.14 Chez Vieux Cissé, Niari Tali, Dakar.

Le jour où j'ai rencontré Babacar, je lui ai demandé où il habitait. Il a souri, m'a répondu qu'il avait 
pleins de maisons et dans chacune de ses maisons des affaires pour se changer. Je réalise que petit
à petit, moi aussi, j'ai plusieurs maisons, Yoff avec Maelle et Pa Ibou, la Médina chez Fatou Peulh
et Niari Tali chez Vieux Cissé, où je fabrique mes sténopés.

dimanche 6 avril 2014

Les toits de Yoff, un peu de hauteur, un peu de distance

















04.04.14 Les toits de Yoff depuis la terrasse, Yoff Layène, Dakar.

 
28.03.14 Les toits de Yoff de l'autre côté de la terrasse, Yoff Layène, Dakar.













Tel un géomètre ébouriffé
J'écartèle mes feuilles
comme les tirets d'une boussole.
Je suis une icône,
une vitrine tropicale
pour villes de bord de mer.

Mon accoutrement
se pare de nonchalantes courbures:
je fais peu de cas
des bourrasques maritimes.

J'ai des semblables
à Miami et Cannes
mais je suis planté à Dakar.
Mes cellules sentent le pétrole,
je suis en plastique.

Habib












Quelque part
je me prélasse
entre un bidon
et des babouches.
Trois grains m'accompagnent
sur ce trottoir
qui sert d'établi.
L'ombre blafarde
fait ressortir la courbe
idéale de mes cornes.
Ma laine est belle,
nullement altérée
dans sa ligne dorsale
par quelque furoncle.
Je me recroqueville,
les yeux baissés,
goûte l'air
pour encore quelques mois.
Ma longue vie
s'éteindra.
Je suis un mâle, je suis Habib,
je suis assez beau pour le sacrifice.














Elle vit une overdose de ville
et la mer comme un oasis mental
sur laquelle se jettent
les rues
empêtrées dans une toile anarchique.

jeudi 3 avril 2014

«Thomas et le voyageur» Gilles Clement

« L'ombre vous entraîne avec moi. Elle apparaît comme lieu d'une station possible, 
le terrain de la pensée, celui des rencontres et des révélations. J'imagine le coeur d'un banian 
comme l'espace impérieux d'où sont commandés les gestes nécessaires à la vie et tracés les chemins 
à suivre. Nous avions négligé ce territoire, oublié d'y prêter une attention égale à celle donnée 
aux montagnes, aux villes, aux objets crus, ostentatoires et sur eux-mêmes fermés. Peut-être
avions-nous imaginé qu'une aussi impalpable existence, l'ombre, privée de matière au point
d'échapper à la métrique, à la pondération et à toutes les mesures, ne saurait informer sur la vie 
autant que la lumière? Et si c'était l'inverse? Si l'ombre abritait la lumière, la protégeait?
C'est une position de repli. Un territoire sans image justement. Une situation calme.
En infographie on interroge pas l'ombre. Elle reste une projection possible des objets représentés.
Sans plus. Elle n'est pas obligatoire. Elle est neutre. »

à l'image de ses poteaux électriques

Ce matin, je suis partie tôt. J'ai quitté Yoff avec mes écouteurs sur les oreilles, Victor Démé en fond sonore, sa guitare, sa voix et son rythme apaisant pour me calmer. J'ai marché sur la plage, cette plage de Yoff dont je ne me lasserai jamais. Au loin, il n'y a plus d'horizon, la mosquée de Camberène flotte au dessus de la mer, qui ne fait qu'un avec ce ciel, terrain de jeux des éperviers et des avions. A chaque fois, je suis émerveillée, à chaque fois je reprends les mêmes photos. Mais cela n'a pas réussi à me calmer.

J'étais énervée, fatiguée par ce pays, fatiguée qu'on m'appelle la toubab, la blanche en wolof, à tout bout de champ, fatiguée qu'on ne pense qu'à me demander si je suis mariée (d'ailleurs j'ai décidé de l'être mais cela ne change pas grand chose), fatiguée que la plupart des relations humaines soient biaisées à cause de ma couleur de peau, de l'argent que j'ai soit-disant, de la possibilité de m'arnaquer, fatiguée de passer la moitié de mon temps à attendre, fatiguée.

Fatiguée de risquer de me faire écraser par un taxi ou percuter par une charrette, de me devoir me comprimer en 12 pour laisser passer quelqu'un dans le bus, de manquer de me casser la jambe parce que le bus redémarre alors que je suis entrain de descendre, de me faire doubler à la boutique parce qu'il faut jouer des coudes pour se faire servir. A c'est sur, au moins, ici, j'apprends à me faire entendre et à ce que personne ne me marche sur les pieds, et en wolof SVP!

Ce matin, dans le bus, j'ai croisé un aveugle. Comment être aveugle à Dakar... mais comment...
C'est risquer sa vie à chaque instant, il n'y a aucune ligne droite, aucun repère qu'il ne peut suivre, chaque chemin est semé d'embûches, de gravas, de sables, de trous, de moutons. Les trottoirs sont des espaces de travail pas de circulation. Marcher sur le trottoir? non, non, on est attiré irrémédiablement par la route, on ne marche que sur la route et à partir de 17h, à la médina, même sur la route il est difficile de marcher. Celle-ci se transforme en terrain de foot. 4 cailloux et le tour est joué. Mais le taxi arrivera à passer.

Hier, le bus a pris le rond point à l'envers, un autre a roulé sur la piste de terre à côté de la route, un autre s'est arrêté deux fois sur le trajet pour reprendre de l'essence à la pompe. Avant-hier, la fenêtre qui donne sur le patio est tombée dans la cour alors que j'essayais de la fermer à 23h. Elle est venue s'exploser un étage plus bas après avoir été légèrement ralentie par quelques fils à linge. Pendant la journée, la famille du rez-de-chaussée cuisine, lave, joue dans cette cour. On a frôlé le drame.


Ce matin, après avoir marché sur la plage, j'ai pris la route de la ville, j'ai vu encore au-dessus de moi ces poteaux électriques anarchiques, emmêlés, un tas de nœud impossible à dénouer, dangereux, où chacun vient comme il le souhaite se brancher, à l'arrache. Je crois que ce pays est à l'image de ces poteaux. Un tas de nœuds. En tout cas, je le vis comme cela en ce moment.

mardi 1 avril 2014



22.03.2014 Les écailleuses de poissons au marché de Soumbédioune, Corniche, Dakar.

Juste derrière moi, il y a la mer. Les pirogues rentrent vers 17h et déchargent le poisson. 
Les femmes attendent sur la plage, récupèrent le poisson et le vendent directement, à même le sable
sur des bout de bâches dépliées. Le poisson s'achète au tas, des tas de 3 ou 4 poissons, ce n'est pas au poids. 
Un tas de 4 lottes assez grosses coutent environ 2000 FCFA, soit 3 euros. Après on passe chez l'écailleuse.



23.03.2014 La nuit, en face de chez Fatou Peulh, rue 31 angle 18, Médina, Dakar.

Le bâtiment qui fait l'angle à gauche est la mosquée de la maison de Fatou Peulh.
L'entrée de la maison est juste à gauche de ce batiment, au niveau du petit arbre.
Chaque jour, Dia sort les tapis de prière sur le trottoir. 
Pour ne pas qu'ils s'envolent, il dépose de gros cailloux dessus.





24.03.2014 La rue où l'on voit la mer tout au bout, deuxième version, Yoff Layène, Dakar.