4924 km nous ont séparées pendant 4 mois. J'étais à Dakar au Sénégal et Lætitia était à Brouville en France.
Là-bas, je dessinais, je photographiais, j'écrivais, j'enregistrais, puis j'envoyais mes télégrammes.
Lætitia m'a répondu en poèmes, sur cette ville qu'elle découvrait au fil de ces notes.
La collaboration continue, toujours à distance. Le retour fait autant parti du voyage que le voyage lui-même.
"Soudoul gnibi touki dou nekh."

Allers retours









 

Pour une boîte en bois

Dans une boite en bois
l'espace s’écarquille
et le ciel ondoie.
Le fil d'un lampadaire
ressemble à la tige d'un pissenlit,
son aigrette prête à fuir semer d'autres contrées.

Tout est loin du fond d'une boite en bois
sensible à la lumière, aux droites et aux noirs.

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Vers une fin

Une fin de séjour
un brouillage grimpant
un fin fil s'épaissit
la myopie revient à l'hôte
l'opacité reconquièrent les rues
la ville referme ses murs
renferme son bruit,

le flou orne le temps
de faire ses au revoir.

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Comment les vagues avancent-elles

et qu'avons-nous à y pêcher?

Nous nous sommes crues bredouilles,

c'était faute de

déceler au travers des gouttes, 
dessous les écailles,

une forme qui conte les roulements marins

et le déroulé chaotique de leur marche.

Depuis la ligne d'horizon

jusqu'à nos pieds sur le sable,

un chemin à rebrousse-oeil

se décrit comme une bienveillante farce.

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Au bout de l'ombre

Le dégradé de l'ombre

se mesure-t-il

au nombre décroissant

de photons?

Si oui, au bout,

existe-t-il un sanctuaire,

un cimetière pour

ces longueurs d'onde

ayant perdu

souffle et trajectoire?

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L'horizon

Tu demandes plénitude à cet océan.

Or l'horizon du bout de notre univers

retentit plus à l’unisson du coeur de Dakar.

Mêlé et assourdissant.

Ligne ou point,

il singe zéro,

celui qui s'accapare toutes forces

et se refuse un seul pas.

Le chaos fond en ligne de fuite.

La mer et la terre ont échangé leurs rôles.

La terre saoule

sans passe ou once de preuve d’échappée.

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L’ombre

L’ombre
Aplatit puis creuse
Aère l’espace
D’une pelleté piquée
Aux rayons.
Le noir, de croyance peu nuancé,
Pousse, avance,
Chausse souliers d’aventuriers.
Il habille les Danaïdes
Dont Stephen Hawking
Commente et mesure
Les puits sans fond.
A ce trépas,
Une silhouette d’animal cisèle
Le pan sombre
Qui me fait face.
Cela me rassure
Et je souris.
Cet être au regard serein,
Passé au cœur d’un trou noir,
Sera mon témoin.

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Elle s'allonge ornée de
cubes grouillants.
Ses carreaux
chipent l'horizon.
Elle est nuance,
elle est immense.
Elle tourmente
mon lien au soleil,
dézingue
l'arrêt habituel
de mon regard.

Je suis en ville
comme en maladie.
J'ai le tournis de ville,
un mal terrien présurisé
sans plus d'échelle ni même racine.


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Pour les tisserands


Le monde est fait
de canevas
célibataires
et stratifiés.
La terre, les arbres,
et le bleu
portent
une trame chacun
qui se distingue
en signature.


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Tel un géomètre ébouriffé
J'écartèle mes feuilles
comme les tirets d'une boussole.
Je suis une icône,
une vitrine tropicale
pour villes de bord de mer.
Mon accoutrement
se pare de nonchalantes courbures:
je fais peu de cas
des bourrasques maritimes.
J'ai des semblables
à Miami et Cannes
mais je suis planté à Dakar.
Mes cellules sentent le pétrole,
je suis en plastique.

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Habib

Quelque part
je me prélasse
entre un bidon
et des babouches.
Trois grains m'accompagnent
sur ce trottoir
qui sert d'établi.
L'ombre blafarde
fait ressortir la courbe
idéale de mes cornes.
Ma laine est belle,
nullement altérée
dans sa ligne dorsale
par quelque furoncle.
Je me recroqueville,
les yeux baissés,
goûte l'air
pour encore quelques mois.
Ma longue vie
s'éteindra.
Je suis un mâle, je suis Habib,
je suis assez beau pour le sacrifice.
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Elle vit une overdose de ville
et la mer comme un oasis mental
sur laquelle se jettent
les rues
empêtrées dans une toile anarchique.

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Elle fait le tour
de sa cour
chaque soir
en un rond méthodique
recouverte de drap
et de nuit.


Elle traîne son corps
en ce rituel.
Par ses pas
elle témoigne
de cet entre
de deux soleils.

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Je me nomme Fatou.
Je suis en plein sommeil
Comme ma maison.

Le marmonnement de la cuisinière
Si en accord avec les bulles et les poêles en cuisson
Ne sévit plus,
Les poules ont rangé leur démarche à cou projeté,
Les branches et les filets
Ont fini d'émietter leur ombre portée sur les faces de la cour.

Chacun dort en son lit
Sauf mon invitée
Sans carte pour appréhender
Cette forêt de bruits
Que nous traversons sans peine.

Je suis Fatou
Et je dors de paix
D’une masse recueillie sous ma couverture,
Je ressemble à ma demeure.

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Plus qu'un carré
une mer d'ombre
boit
passants
carcasses
raies de lumière
air
et lignes.


Un territoire
camoufle tout
tranche dans le vif
de la ville
assume ses lacunes
en nuances
et la tranquillité
d'un trou noir.

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Pour un négatif noir

Le cache photographique
comme un boomerang
un rire de l'appareil
à mon oeil.
Un coup d'essai
un bizutage du regard
avant qu'il ne puisse
s'étaler,
ne se plonge sur ce territoire
comme sur un lit
propre et neuf.

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C'est une bande de blocs
Et de verticales.
Un front franc
Vis à vis de ses atouts
Et de ses fêlures.
Il se dit sans bruit.
Sans honte, il est, ce lieu,
Un visage et un charme aussi.

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La lourde coupole
Pour une horizontale,
La respiration des moucharabieh
face au souffle du rivage,
Le prophète a choisi
L'entre-deux mouvant des sables
Pour que les hommes ne perdent pied.


Le mausolée de Seydina Limamou Laye
Comme un paramer
Pour un flot blanc de fidèles.

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Les murs se brossent de noir
Car c'est la mer
Que l'on cherche en clair.
Elle se trouve
En cette verticale brochée
Au creux de deux pages de carnet.

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La mer
Cet endroit
Non filaire
Auquel mène
Une rue
Etoilée de câbles
Plus ou moins tendus
Plus ou moins linéaires.

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C'est un vent
dans des filaos d'encre.
Trois lignes justes
A l'épaisseur vigoureuse
Et l'étoffe du personnage central
S'envole.
Les traits foisonnent
Se pressent telle une foule
Aux lieux d'ombres denses
Qui signent une torpeur
Toute africaine.

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Les autres n'existent pas
Il n'y a que mes semblables méconnus.

L'ailleurs ne m'est pas distinct
Je suis aujourd'hui à lui
Une once potentielle.
Il me sera morceau
Après ce présent.

Les êtres avancent en lignes inclinées.
Je leur souhaite la tête en avant
Et les pieds en arrière.

Les personnes avachies
Contiennent un esprit plongeur
Qui fabrique du lien, une marque,
Une place pour ce lieu
Avant même le voyage.

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Oh toi Tirailleur
En te faisant photographier en 1907,
tu franchis les frontières des siècles et de ma porte.
Je ne sais si ton habit a quelque âge,
mais ton sourire heureux et fier
comme celui d'un berger aux mille vaches,
je souhaite qu'il soit mon miroir.

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Pour un sans-racine
Partout ailleurs et
Nulle part riment.

L’ailleurs est alors souvent
Ce que les autres vivent,
C’est un tour des villes du monde
Une escalade alpine, un voyage in utero.

Le vécu se fige dense et photographié.
Les mots le complète et l’achève :
Il est devenu rêve.

Écrire pour des ailleurs
Et l’expérience à l’état solide
Se meut en un gaz voyageur.

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